«Locomotive à vapeur à vendre, en 1000 pièces détachées. Année de construction: 1920.» Au bout de deux années de recherches dans le monde entier, Daniel Bär, alors âgé de 32 ans, a lu cette annonce tant attendue sur Internet. Enfant, il piquait les petits trains de son frère, et sa passion a grandi avec les années. Son jardin de 3500 mètres carrés à Gößnitz, dans le land de Thuringe, compte déjà neuf locomotives à l'époque, huit à diesel, et une à batterie. Il les a toutes achetées usagées et les a restaurées. Elles roulent sur les 420 mètres de rails qu'il a posés lui-même. Cette installation lui a pris cinq ans. Il a agrandi petit à petit sa voie ferrée. Une seule pièce lui manquait encore: une locomotive à vapeur. Une vraie, qui crache de la fumée. Pour lui, c'était clair, il devait se procurer la locomotive de chantier, comme la décrivait l'annonce. Celle-ci était auparavant alimentée en tourbe et en eau, maintenant il y fait brûler le bois des forêts alentour.

Daniel Bär

Daniel s'est rendu dans la région de Magdebourg, où le vendeur avait entreposé les différentes pièces de la locomotive dans plusieurs hangars. Elle provenait de l'usine de tourbe Carl Hornung à Quickborn, près de Hambourg. Elle y a servi jusqu'en 1943, puis elle a été abandonnée. Il a âprement négocié la vente et fait contrôler la chaudière – la pièce maîtresse de la locomotive – par les services techniques allemands avant l'achat. Et il a fini par conclure un bon deal. Il est retourné chez lui avec un camion et plusieurs voitures pleines de pièces détachées.

Place à la restauration. C'est un travail assez complexe, surtout sans plans de construction. Daniel fait des recherches dans la littérature, va dans des musées de toute l'Europe et va voir une locomotive de taille et de conception similaires en Suède. Il remarque qu'il lui manque certaines pièces, ou que d'autres sont trop usées, mais il sait qu'il résoudra ces problèmes d'une manière ou d'une autre. Il ne va pas abandonner son rêve pour autant. La gigantesque tâche de Daniel: restaurer 1000 pièces et remplacer celles qui sont inutilisables.

Il restaure minutieusement de nombreuses petites pièces sur son établi : arbre de frein, levier de freinage, armature ou encore éléments qui servent au contrôle de l'eau et de la vapeur. Il fabrique de nouveaux câbles avec des tubes de cuivre pour remplacer les anciens. Il remplace des pièces de tôle, démonte complètement des packs de ressorts à lames, les martèle à nouveau sur une enclume et les assemble. Il doit restaurer entièrement le châssis. Il soude quelques pièces, puis sable le tout. Il fait appel à des professionnels lorsque c'est nécessaire, pour ne pas commettre d'erreur. Entretemps, il vernit diverses pièces. Il constate que les rivets ont déjà eu plus fière allure. Il demande donc à un ami soudeur d'en recréer d'après l'ancien modèle et de les poser. Il n'a aucun plan précis. Daniel est pragmatique; il répare, dérouille et remplace ce qui lui passe entre les mains.

En revanche, la situation est différente lorsqu'il s'agit de réassembler la locomotive. Il commence par la base, le châssis, et progresse vers la cabine de conduite. Le châssis est monté sur du bois équarri. à cette étape, Daniel se fait aider par quelques amis, qui lui donnent aussi un coup de main pour les tâches plus difficiles. Ça va plus vite. Il fixe de nouvelles roues profilées et les cylindres au châssis. Il installe aussi un nouveau tampon, la pièce qui relie la locomotive aux autres wagons. Daniel décide d'en fabriquer un nouveau modèle, car celui qu'il possède ne fonctionnera plus très longtemps. Il garde son calme, procède une étape après l'autre. Il pose le couvercle du réservoir et le réservoir d'eau sous le châssis. Puis il passe à la pièce maîtresse: la chaudière. Ici aussi, il rencontre quelques embûches. En effet, certains tuyaux bouilleurs n'ont plus l'air très neufs. Il vaut mieux en poser des nouveaux, et mesurer la pression hydraulique. Daniel et ses amis réunissent leurs efforts pour poser les armatures et la cabine de conduite par-dessus.

Le jour J est enfin arrivé. La locomotive à vapeur est montée. Est-il temps de lui faire faire son voyage inaugural? Pas encore... On peut certes conduire une locomotive à vapeur dans son jardin sans autorisation, mais il vaut mieux être sûr de son coup. Daniel commence par faire une formation de chauffeur. Une fois diplômé, il jette du bois dans la chaudière, le front couvert de sueur. Il a chaud, mais peu importe. Il est fier. Sa locomotive à vapeur roule. Les voisins s'émerveillent. Une locomotive à vapeur au milieu du jardin, il faut le voir pour le croire! Et le fils de Daniel? 13 ans plus tard, il suit les traces de son père. Agé de 20 ans à présent, et il restaure sa propre locomotive à vapeur, construite en 1944. Il l'a trouvée dans la même usine que celle de son père.

Daniel Bärs selbst restaurierte Dampflok dreht ihre Runden.

Texte: Esther Acason | Images: Daniel Bär